Carnets

J'ai tenu quotidiennement pendant quinze ans un journal dessiné et écrit. Il y a dans le journal intime une contradiction insoluble, sauf à le nier dans son principe, c'est qu'il est destiné à ne pas être vu, sa fonction est simplement d'être fait.

 

Vers le milieu des années 90, anticipant un ou plusieurs deuils annoncés dans mon entourage, puis heureusement reportés depuis, j'ai décidé de mettre en place une pratique quotidienne et systématique du dessin dans des carnets du même format achetés en quantité à l'avance. Puis, attendre, armé de ce médium, de me confronter à un ou deux de mes proches devenus gisants.

  

Le dessin face à l'inacceptable de la mort, c'est une utopie mais c'est difficile d'y résister, à l'instar du guerrier de la fable de Pline l'ancien dont la promise projette le profil sur un mur à la lumière d'une bougie, puis le trace avec l'objectivité et la neutralité d'un arpenteur, pour garder quelque chose de lui au cas où il ne reviendrait pas de la guerre.

  

C'est cette attitude de l'aimante face à une possible disparition de l'être aimé qui a déterminé ma décision de tenir ce journal portant sur des événements infimes du quotidien dont j'enregistre quelques petites traces, la tasse du café du matin, le verre de vin du soir, mes animaux vivants puis morts, mes couverts, mes épluchures, mes bouquins etc... C'est le degré zéro du style, proche de la ligne claire en BD.

Sa fonction pourrait être aussi celle des boites noires des avions: à ne consulter qu'en cas de catastrophe.

 

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